19/06/2025

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Saumon formosan : la bataille pour la vie

01/05/1995
Malgré sa beauté, le saumon formosan, un fossile vivant déjà présent à l'ère glaciaire, a un avenir incertain. Le manque de coordination entre les différentes agences gouvernementales a entravé les efforts de protec­tion de l'environnement de ce poisson protégé.

Le 26 mars 1988, plus de 200 jeunes saumons formosans (Oncorhynchus masou formosanus), tous marqués pour faciliter leur identification ultérieure, se préparaient à quitter le centre d'alevinage construit pour eux par les hommes et à s'en retourner « chez eux » — dans les eaux du Chichiawan, à Lishan, dans le centre de Taiwan.

C'est James Wang, qui était alors en train de préparer son doctorat en écologie animale à l'université de l'Iowa, aux Etats-Unis, qui transporta les sacs d'alevins. Lourde responsabilité : chaque petit poisson représentait à lui tout seul un investissement de 300 000 yuans taiwanais (environ 60 000 francs français). Wang avançait avec précaution, craignant de glisser sur les rochers glissants et de laisser échapper les petites créatures. Finalement, les chercheurs atteignirent le site choisi au bord de la rivière, et avec des gestes attentionnés, rendirent la liberté à leur précieuse cargaison.

A contre-courant

Les données statistiques et les recherches effectuées sur le sujet indiquent qu'avant 1970, le saumon formosan pouvait être observé dans six affluents de la portion supérieure de la rivière Tachia. Aujourd'hui, vingt et quelques années plus tard, les ichtyologues ont constaté qu'il n'y avait plus que 2 000 représentants de cette espèce, répartis sur un tronçon de la rivière Chichiawan long de 5 kilomètres à peine.

C'est pendant la période de l'occupation japonaise que l'on découvrit avec étonnement « qu'il y a des saumons dans les montagnes subtropicales de Taiwan ». En effet, les saumons sont normalement des poissons d'eau froide vivant en haute mer. Comme ce genre de découverte semblait impensable pour les scientifiques étudiant la distribution géographique des espèces, le saumon formosan (connu sous l'appellation de « saumon fleur de cerisier » en chinois et parfois appelé « saumon cerise » , ou encore « truite formosane ») revêtit tout de suite une grande importance. Les in­formations qu'il peut apporter sur l'histoire géologique ont attiré l'attention internationale. Les Japonais ont déclaré le poisson « trésor naturel d'importance historique » et ont interdit le développement de la région sur une bande de 300 mètres le long de chaque berge.

Quand on s'aperçut, en 1984, que ce fossile vivant célèbre dans le monde entier était sur le point de disparaître, la commission d'Etat pour la Planification et le Développement culturels l'inscrivit sous la loi de Protec­tion de l'héritage culturel en tant qu' « objet historique ». Au même moment, la commission d'Etat à l'Agriculture initia un programme destiné à ramener le saumon masou à l'état sauvage.

Constatant qu'il survivait bien peu de spécimens de ce « trésor national », et que ceux-ci pouvaient disparaître à la première vague de froid, il ne parut plus suffisant de surveiller les berges et d'informer la population. L'effort principal se porta sur l'alevinage afin d'accroître la population des saumons. Un centre d'alevinage fut construit sur les berges du Chichiawan, et des experts de la branche de Lukang de l'institut de recherche ichtyologique de Taiwan, qui est situé sur la côte ouest de l'île, furent envoyés en mission dans les montagnes, afin de sélectionner les saumons les plus aptes à la reproduction.

Le retour du fretin prodigue

Néanmoins, l'élevage n'est qu'une étape du processus de restauration de la population d'une espèce. Afin de permettre aux saumons de retourner dans leur milieu naturel — la rivière Tachia et ses affluents — pour s'y mul­tiplier, il était nécessaire de comprendre d'abord pourquoi leur population diminuait, et de trouver les solutions adéquates à ce déclin.

Par le passé, la recherche sur le saumon formosan visait surtout à expliquer sa présence à Taiwan, et à dénommer et à classifier les poissons de façon correcte. Aujourd'hui, les éminents biologistes de l'Academia Sinica, de l'université nationale de Taiwan et de l'université normale de Taiwan suivent les évolutions de la population du saumon formosan, analysent le débit des cours d'eau, détaillent la pathologie de l'espèce, et font des recherches sur les insectes dont le saumon se nourrit. Les scientifiques travaillent en coopération pour aider le saumon à sortir de cette mauvaise passe et pour allonger la durée de survie de l'espèce.

Après deux ans de travail, l'élevage des saumons en était, à Taiwan, à la fin de sa première phase. Par comparaison avec des travaux similaires réalisés à l'étranger, la vitesse de reproduction des poissons était relativement lente à Taiwan. On dénombrait cependant deux cent cinquante saumons d'un an prêts à commencer le voyage du retour vers les origines.

Malheureusement, le Chichiawan avait peu de points communs avec les eaux que la génération précédente avait quittées deux ans auparavant.

Les humains suivent leur propre évolution : ils sont d'abord protégés par leur famille, qui les aide à traverser les étapes de la vie, de l'école à l'entrée dans la société. Ils doivent à chaque fois s'adapter à des environnements différents... Les poissons aussi ont un environnement spécifique pour chaque étape de leur vie. Le saumon utilise différemment les sites où il se trouve, au fur et à mesure qu'il grandit.

James Wang, qui fut la première personne à obtenir un PhD pour ses recherches sur ce trésor national, explique que pendant leurs jeunes années, les saumons doivent éviter de se faire dévorer par les oiseaux ou les prédateurs fréquentant le cours d'eau, et passent donc la plupart de leur temps dans les recoins obscurs formés par les petits rochers. Pendant la saison des typhons, ils cherchent refuge dans les profonds trous d'eau, afin de ne pas être emportés en aval par les flots. Les adultes sont conditionnés pour frayer dans les eaux peu profondes des por­tions où les courants sont les moins forts, pour que les œufs puissent se fixer plus facilement dans les fissures des rochers.

La rivière sans retour

Ainsi, il faut au saumon formosan une rivière dont le courant est rapide sans être turbulent, et qui possède un lit de petits rochers et de gros galets. Les rivières courbées, qui creusent des piscines profondes par endroits, mais dont le lit est plus élevé près des berges, offrent toutes les topographies possibles, espacées régulièrement sur toute leur longueur : l'habitat idéal pour un saumon.

Hélas, tandis que les saumons grandissaient dans un environnement artificiel, leur véritable environnement — le Chichiawan — devenait de moins en moins adapté à la vie aquatique. Tai Yung-ti, le deuxième PhD spécialisé dans l'étude du saumon masou, et qui occupe actuellement les fonctions de professeur associé à l'Institut polytechnique national de Pingtung, se souvient que lors de la première phase du programme, la seule façon dont il pouvait observer le comportement des poissons était de s'harnacher avec une bouteille à oxygène et de plonger dans les profondes piscines. A mesure que la rivière s'élargissait, devenait rectiligne et moins profonde, il devenait plus fa­cile d'observer les poissons depuis la surface de l'eau.

Bien que la pêche soit strictement interdite dans cette région, et que la population du saumon formosan ait augmenté une fois les poissons relâchés dans la rivière, un cours d'eau aussi peu changeant ne pouvait convenir à ce précieux poisson. Finalement, les plus sérieuses craintes des scientifiques se réalisèrent : une série de typhons fit disparaître la plupart des saumons sur lesquels reposaient tous les espoirs de sauver l'espèce en voie d'extinction. De plus, il n'existait que peu de sites propices au frai, et le nombre de saumons formosan tomba entre 500 et 600, nombre autour duquel leur population se maintient aujourd'hui.

La question capitale est : après avoir tant investi et mis à contribution tant de talents, pourquoi n'a-t-il pas été possible de préserver la courte portion de cinq kilomètres du Chichiawan où vivent les poissons?

Tai Yung-ti, qui observe le déclin de la population piscicole depuis 1986 et qui est déterminé à en trouver les raisons, remarque que le sort des saumons est étroitement lié au développement du cours d'eau tout entier.

Prisonnier des terres

Dans les années quarante, Shikano Tadao, un zoologue japonais, fit des croquis en coupe des différentes rivières de la partie occidentale de l'île de Taiwan. Il découvrit que la plupart des rivières situées à une altitude de 1500 à 1700 mètres dévalent des pentes rapides. En comparaison, la rivière Tachia, qui se trouve à une al­titude similaire, a une pente plus douce. En outre, elle est située dans la partie centrale de l'île, qui est moins affectée par les typhons, et offre donc de meilleures conditions climatiques.

Il y a des dizaines de millions d'années, pendant l'ère glaciaire, lorsque les saumons pouvaient librement descendre et remonter les cours d'eau de Taiwan, ils se déplaçaient en bancs, en se guidant grâce à la com­position chimique des eaux, pour remonter les rivières à la saison du frai et pondre leurs œufs en amont des cours d'eau. Conformément à la théorie de la sélection naturelle des espèces, seuls les plus forts pouvaient survivre au voyage du retour, ce qui maintenait la longévité et la résistance de l'espèce toute entière. Cependant, quand les glaces reculèrent, de nombreux saumons furent retenus à l'intérieur des terres, incapables de retourner à la mer. Ils n'eurent pas d'autre possibilité que de devenir des « saumons d'eau douce », prisonniers des terres. Parmi les nombreux cours d'eau de Taiwan, la rivière Tachia était la seule à offrir les conditions nécessaires à leur survie.

Aujourd'hui, la ligne de partage des eaux de la Tachia n'est plus ce qu'elle était. Quand l'autoroute transversale de l'île, qui longe la Tachia, fut achevée, les forêts furent décimées et des vergers furent plantés. Depuis, la Tachia est devenue boueuse et agitée, et la partie inférieure du cours d'eau a subi de nombreuses catastrophes écologiques. Le saumon formosan fut le premier à en pâtir. Les activités agricoles ont causé une hausse d'environ 5 degrés de la température des eaux sur les trente dernières années, et de nombreuses portions de la rivière sont maintenant inhabitables pour le saumon, qui s'accommode mieux d'une eau à 17 degrés.

Le saumon a besoin de différents types d'habitats au fur et à mesure qu'il grandit. Les œufs sont généralement pondus là où les eaux sont peu profondes et le courant ralenti; ils tomberont doucement vers le fond et se logeront entre les rochers.

 

L'asphyxie, la tête hors de l'eau

Dans les années soixante-dix, avec le développement du centre urbain de Taichung, de nombreuses retenues d'eaux furent construites au niveau de la ligne de partage des eaux. La rivière se mit à stagner. Très sélectif sur le choix de son environnement, le saumon formosan ne pouvait plus vivre dans un cours d'eau si morne. En outre, le développement agricole le long des berges entraîna une érosion des sols et des glissements de terrain, qui déposèrent de grosses quantités de limons et de pierres dans les retenues. Les autorités réagirent en construisant des barrages pour retenir le sable. La rivière se mit à ressembler de plus en plus à un tube digestif encombré. Au fil des années, les limons et les pierres se sont accumulés autour des barrages à sable, comblant encore le lit de la rivière et ralentissant son cours.

Auparavant, les saumons avaient tiré parti des différents types de topographie pour s'adapter aux catas­trophes naturelles. Aujourd'hui, il n'y a plus de profonds trous d'eau pour leur servir de refuge, et quand viennent les violentes précipitations, les poissons sont emportés en aval par le courant. Aucun poisson, quelle que soit sa force, ne peut surmonter les barrages de plusieurs mètres de hauteur pour remonter le courant, et ils sont condamnés à une mort certaine dans les eaux plus chaudes de l'aval de la rivière.

Pour le saumon formosan, déjà prisonnier des terres, et incapable d'interagir avec des espèces voisines, l'amenuisement de son espace vital par les retenues de sable entraînera une nouvelle réduction de son patrimoine génétique et de sérieux problèmes de dégénérescence. Par le passé, les saumons formosans se battaient pour conquérir une femelle, mais aujourd'hui ils n'ont même pas à s'affronter. Le manque de compétition aidant, les saumons restants sont moins vigoureux à chaque génération, et perdent leur résistance aux maladies. Ils ont « la tête hors de l'eau », et sont incapables de recréer des défenses contre la civilisa­tion moderne.

Chronique d'une mort annoncée

Des facteurs variés sont donc à l'origine de la disparition du saumon formosan des rivières de Taiwan, à l'exception d'une petite section du Chichiawan. Hélas, désormais la détérioration de l'environnement s'étend même au Chichiawan, le cours d'eau en lequel tant de personnes avaient placé leurs espoirs.

Comme s'ils étaient capables de prédire la mort prochaine des saumons restés dans la rivière, les membres de l'équipe chargée de leur protection ne peuvent que considérer les poissons qu'ils ont sauvés comme des créatures sans avenir.

« En réalité, les scientifiques disent de façon très claire que leurs efforts ne peuvent que traiter les symptômes », dit Chuang Ling-chuan, qui s'est déjà reconverti à l'étude d'une autre espèce de poisson unique à l'île de Taiwan, le poisson ku. Les scientifiques peuvent sans doute parvenir à des résultats dans leur pro­gramme d'alevinage en travaillant avec encore plus d'acharnement, mais l'avenir du saumon dépendra de maints autres facteurs. Il implique également des décisions politiques générales et la coordination entre de nombreuses agences gouvernementales.

Ces problèmes de coordination sont apparus parce qu'au commencement du programme, un certain nombre d'entités distinctes — le département des Forêts dépendant du gouvernement de la province de Taiwan (surveillance de la forêt), la commission de Gestion du réservoir de Teh Chi (contrôle des eaux) et la commission d'Etat pour la Reconversion professionnelle des militaires (la VACRS, qui encourage les exploitations agricoles en haute altitude dans cette région) — avaient un certain pouvoir de contrôle sur le Chichiawan. Le programme de sauvegarde du saumon formosan s'est heurté à des problèmes épineux et complexes parce que le travail de chaque agence affecte celui des autres.

Le département de Zoologie de l'université nationale de Taiwan a fait la preuve depuis bien longtemps que l'hôtel Wuling, un complexe abritant deux cents lits situé sur la rive du Chichiawan, et qui est administré par le département des Forêts, rejette des déchets polluants dans le cours d'eau. Pendant la saison sèche, lorsqu'il n'y a pas assez d'eau pour diluer les agents polluants, ceux-ci affectent gravement la qualité de l'eau du Chichiawan. Dix ans se sont écoulés, et l'hôtel Wuling n'a toujours pas été équipé de système de traitement des eaux usées.

Les graines de la destruction

La ferme de Wuling, qui développe l'agriculture des fruits et des légumes en haute altitude, est elle aussi située à proximité du Chichiawan. Elle fait l'objet de critiques depuis longtemps déjà, car l'exploitation effrénée des ter­rains en pente réduit la durée des réserves d'eau. Parce que les opérations de la VACRS sont intimement liées à la vie des vétérans, les problèmes causés par la ferme sont difficiles à résoudre. Après que la commission d'Etat de l'Agriculture eut enregistré le Chichiawan comme zone écologique protégée, il fut stipulé qu'aucune activité agricole ne serait permise sur une bande de terre de 30 mètres de large à partir des rives. La VACRS, qui gère la ferme, a demandé une importante somme d'argent pour permettre aux vétérans exploitant cette zone de changer de pro­fession. L'on n'est toujours pas sorti de l'impasse.

Bien qu'il s'agisse du programme de sauvegarde d'une espèce le plus coûteux jamais mis en place à Taiwan, les fonds qui lui sont alloués sont sans commune mesure avec les subventions accordées à d'autres types de pro­grammes. En outre, les agences impliquées ont chacune leurs propres priorités. Le résultat est que le pro­gramme de sauvegarde du saumon formosan ne peut s'attaquer qu'aux symptômes, pas au mal.

Sous l'occupation japonaise, une ceinture de protection large de 300 mètres s'étendait de part et d'autre de la rivière afin de protéger celle-ci contre la pollution d'origine humaine. Aujourd'hui, les vergers et les jardins potagers sont à moins de 10 mètres des rives.

Ces jours-ci, on peut voir la boue se déverser continuellement dans le Chichiawan depuis les terrains cultivés sur chacune des deux berges. L'eau est pleine de limons, ce qui réduit grandement sa teneur en oxygène. De plus, les fertilisants chimiques utilisés par les fermiers ont entraîné une croissance anormale des algues sur les rochers. En conséquence, la vitesse à laquelle les œufs sont pondus et à laquelle ils éclosent s'est ralentie.

Impuissants

Depuis son initiation en 1985, le programme de sauvegarde de la vie animale le plus coûteux de l'histoire de la République de Chine a produit sept spécialistes diplômés de doctorats ou de maîtrises, ainsi qu'une vingtaine de travaux de recherche, et a permis la création d'une banque de données biologiques. Malheureusement, tous ces efforts pourraient s'avérer inutiles si les changements qui affectent l'environnement ne sont pas étroitement surveillés.

« Cette expérience m'a fait comprendre que j'étais incapable d'enrayer le processus et d'éviter la catastrophe. Aussi quand vous me demandez quel est l'avenir de ce poisson, je sais plus ou moins ce à quoi il faut s'attendre », conclue Tai Yung-ti. Le scientifique s'estime déjà heureux qu'aujourd'hui, après dix ans de campagnes d'information et d'éducation auprès d'une population totalement ignorante de la protection de l'environnement, l'on puisse être poursuivi pour avoir pêché des poissons protégés, et il n'ose rien demander de plus pour l'instant.

Les alevins ont tendance à choisir les endroits sombres pour éviter les prédateurs.

En fait, le cas du saumon reflète la question plus vaste de l'utilisation inefficace des terrains et des réserves d'eau. Bien que chacune des agences travaillant sur la ligne de partage des eaux du Chichiawan ait une mission particulière à remplir, l'utilisation et la gestion des terrains en pente forte des berges de la section amont du Chichiawan ne devraient pas être trop diversifiées. En effet, cette portion n'est pas celle ayant la production la plus importante en valeur. Si des efforts sont réalisés de façon simultanée pour développer l'agriculture, les aménagements de loisirs et la produc­tion d'électricité dans la région, alors le saumon devra être sacrifié.

Wu Hsiang-chien, le directeur de la division de Protection du Parc na­tional Shei-pa, adopte un point de vue différent sur le développement de la rivière Tachia. « Même s'il n'y avait pas de poissons, il serait nécessaire de mettre un frein au développement de la portion amont de la rivière Tachia, parce qu'elle subvient aux besoins [en eau potable] de deux millions d'habitants dans la grande métropole de Taichung. » La protection de la rivière et du saumon bénéficieront à l'homme au bout du compte.

De l'âme des poissons

La rivière Tachia, qui se déroule entre ciel bleu et cimes verdoyantes, est la source d'eau potable des habitants de la ville de Taichung. « L'eau que les gens de Taichung consomment est l'habitat naturel de ces poissons, il y a donc un peu de l'âme des saumons en chacun des habitants de la ville », dit poétiquement James Wang, qui est aujourd'hui professeur associé à l'institut d'Etude de l'environnement à l'université normale nationale (Université de Shida). S'il n'est pas possible pour quelques petits poissons de survivre dans la partie amont du cours d'eau, cela signifie que la qualité de vie de toute la popula­tion est en déclin.

Le sort des saumons est symptomatique de la baisse de la qualité de vie des humains. Celle-ci ne pourra augmenter que si les saumons restent en bonne santé. Taiwan a déjà dépensé des centaines de millions de dollars pour nettoyer la partie inférieure de nombreuses rivières. S'il s'avère impos­sible de sauver les saumons, il sera très vite nécessaire de nettoyer la partie supérieure de ces cours d'eau, dans les montagnes.

Aujourd'hui, c'est ce précieux poisson qui est menacé, demain ce sera une autre créature. Si nous laissons nos propres espèces rares disparaître au cours de la génération présente, alors sauver les éléphants et les rhinocéros ne signifiera rien de plus que du bon travail de relations publiques. Les animaux de Taiwan tomberont les uns après les autres comme un jeu de dominos.

« Au bout de dix ans d'études, il ne s'agit plus de parler théorie à propos du saumon. La décision nous appartient : nous pouvons choisir de le sauver ou de le laisser mourir », dit James Wang, qui est pessimiste mais n'a pas abandonné tout espoir. Ce précieux poisson a survécu à d'innombrables catastrophes pendant un million d'années, mais ce sont les quelques années à venir qui décideront de son sort. Si le Chichiawan doit être la source de vie pour le saumon, le problème du développement économique dans les montagnes doit être résolu aussi vite que possible.

Aujourd'hui le saumon, demain le monde

Le saumon est aujourd'hui « en service de soins intensifs ». Il faut être patient et réduire les interférences au maximum. Il sera temps d'envisager de continuer le développement des montagnes lorsque les efforts de sauvegarde du saumon auront porté leurs fruits.

Refusant toujours d'admettre l'échec de la mission, James Wang estime que si la VACRS insiste pour obtenir une compensation financière avant d'arrêter l'exploitation agricole dans la région, alors il faut allouer plus de fonds à la protection du saumon. « De quoi Taiwan peut-elle être fière? Qu'est-ce que les touristes viennent voir ici? Le saumon de Taiwan, unique au monde, est indubitablement un animal de grande valeur. »

James Wang sait cependant qu'il sera très difficile pour le saumon de survivre, et que des mesures extraordinaires doivent être prises. Il faut que les gens se mobilisent pour plaider sa cause. Il faut également changer de politique et négocier pour faire cesser l'exploitation des berges de la rivière.

Aujourd'hui, le travail de sauvegarde entame sa deuxième décennie. La protection du saumon était la raison principale de la création par le ministère de l'Intérieur du cinquième parc national (le parc national de Shei­-pa). La création des parcs nationaux répond aux impératifs de sauvegarde de l'environnement et de sensibilisation de la population. L'on espère que la gestion des ressources de la rivière Tachia pourra être simplifiée sous la direction du parc national, la priorité étant donnée à la préservation de la diversité des espèces, afin que la rivière Tachia puisse recommencer à respirer et retrouve ses forces.

Hsueh Chi-kuang
Bien que les barrages destinés à retenir le sable soient une véritable catastrophe pour les saumons, qui ne peuvent plus remonter les cours d'eau, leur suppression devra être effectuée avec une grande prudence, pour éviter un nouveau désastre.

 

La lutte pour le saumon formosan marque un important tournant dans l'histoire de la protection de l'environnement à Taiwan. Dans cette affaire, la population, les agences gouvernementales et la communauté écologique ont découvert la logique du développement intensif, et comprennent petit à petit comment sauver une espèce au bord de l'extinction.

« Bien qu'ils aient vécu ici bien plus longtemps que nous, il n'est pas certain qu'ils puissent nous survivre », dit James Wang. C'est une question à laquelle doivent s'attaquer tous les habitants de cette région-ci du monde.

Chang Chin-ju, Sinorama février 1995

(v.f. Laurence Marcout)

Photos fournies par le Parc national Shei-pa

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